Le Cpa est un équipement de Valence Romans Agglo

Ruines

La ruine a acquis, depuis la fin du Moyen Âge, le statut d’objet esthétique. Née avec le paysage, fille de la perspective et des nouveaux imaginaires politiques, longtemps, elle a donné à voir la destruction du passé pour mieux mettre en valeur la construction du futur, avant d’incarner, à l’époque romantique, la vanité des œuvres humaines vouées à la disparition.
Oubliées dans le paysage ou préservées volontairement en l’état, les ruines vivent pourtant leur vie avec la nature et les hommes. Elles balisent nos parcours, rarement répertoriées sur les cartes et, à la différence des monuments qu’indiquent les guides de voyage, il leur arrive même de nous surprendre. Elles habitent le paysage en signal d’alarme, refusant de se dissoudre dans la continuité d’une histoire de l’art, de se résorber dans le sublime, de se plier aux discours commémoratifs.

La parole à Philippe Mesnard, co-commissaire de l'exposition, pour présenter cette première section :

Regard sur une œuvre

Église Saint-Sauveur, Ani, Anatolie orientale, Pascaline Marre, 2009

Parcourant le site d’Ani, on est irrémédiablement attiré par l’abside de l’église Saint-Sauveur. La beauté de l’édifice nous saisit par la légèreté de ses proportions, posé avec grâce dans ce paysage. On s’en approche avec l’envie de s’y lover, de l’entendre nous murmurer son histoire. Je tournais autour jusqu’à trouver l’angle parfait depuis lequel je reconstituais l’édifice entier. Cassée en son centre par une diagonale l’élevant vers le ciel, sa moitié invisible en est magnifiée. Pascaline Marre

> Écouter le commentaire audio

Les mots d'Ahmed Kalouaz

Utah beach

    Ce garçon d’une vingtaine d’années avait laissé derrière lui un village, des soirées de danse au violon, loin de la France. Sur les navires de débarquement, qui connaissait Sam Miller ? Simple poussière parmi la colonne qui allait se jeter dans les flots pour monter à l’assaut de la plage secouée par un concert d’artillerie. Coups de tambour qui envoyaient l’eau et le sable dans l’air. Dans cette vie où il y a toujours des choses à conquérir, il courait pour libérer un continent. La vieille Europe d’où étaient partis ses ancêtres.
    Il en avait perdu la langue, qui ne cueille que ce qu’elle entend. Peu importe. Lorsque l’embarcation à gueule ouverte s’est approchée du rivage, il a pris son barda, son fusil et s’est précipité vers cette plage à qui des généraux avaient donné le nom d’Utah Beach. Ici peut-être moins qu’ailleurs, ce fut tout de même un cimetière à ciel ouvert. Dans les marécages, au-delà du chant des vagues, beaucoup de parachutistes avaient perdu la vie.
Des mères marchent au loin, la tête basse et s’agenouillent pour prier. Les vivants rapporteront un peu de sable dans leurs poches, et un voile tenace dans le regard. Une brume pour chaque jour que le temps broie.
    Dans son enfance, Sam Miller avait rêvé d’aller à l’Ouest, acheter quelques arpents de terre en Oregon. Vivre là, un bout de siècle à l’ombre des montagnes enneigées.
    Le 6 juin, depuis l’aube pleuvaient des flocons de feu, quand il s’est couché à quelques mètres du premier abri. Touché ou tétanisé près d’un bunker devenu au fil du temps, et du travail de sape de la mer, un bloc de béton aux ferrailles distordues.

Extrait du recueil "Sous l'écorce des ans"

Photo : Ruine vivante à Utah Beach, Joséphine Billey, Paule Pointereau et Lucie Poirier, 2014

> Écouter le commentaire audio

Section suivante "Fantômes"