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Mélanges

Des vestiges dialoguent avec la nature après chaque catastrophe. Certains bavards, d’autres plus discrets, tous semblent procéder d’un arrangement pacifique dont naît une forme de paysage dominé par la vie. Il s’agit d’une étonnante intégration des marques de l’histoire, parfois la plus brutale, à l’environnement sans que celui-ci les recouvre tout entières. Ce type de paysage mémoriel fourmille d’indices. Notre regard s’y accoutume, tout semble bien y avoir sa place, mais il suffit qu’il s’y attarde pour que le trouble s’installe.
Ces paysages, quand ils ne sont pas retirés à la nature par une patrimonialisation ostentatoire, demeurent le siège d’une étrange alchimie qui peut paraître outrageuse aux regards avertis. Cette fausse innocence n’est pas seulement le fruit des amours de la nature avec l’histoire, elle sait aussi combiner un passé éminemment culturel et la barbarie.

Regard sur une œuvre

Reconstruction du portrait de Pablo Míguez, Philippe Mesnard, 2018

Situé dans le nord de Buenos Aires, le Parc de la mémoire. Monument aux victimes du terrorisme d’État, est un vaste espace de 14 hectares entièrement dédié aux victimes de la dictature argentine (1969-1983). Il rassemble de nombreuses œuvres d’art et installations. Vous tournez le dos à ce foisonnement mémoriel quand vous regardez Reconstruction du portrait de Pablo Miguez (1999-2010). L’œuvre a été dédiée par Claudia Fontes au jeune garçon qui disparut à l’âge de 14 ans après avoir été arrêté avec sa famille. Cette œuvre émerge des eaux du Rio de la Plata, au large duquel la plupart des victimes ont été jetées lors des « vuelos de la muerte » d’avions militaires qui s’envolaient de l’aérodrome situé à quelques centaines de mètres du parc. Philippe Mesnard

Les mots d'Ahmed Kalouaz

Birkenau

    Parfois mes pas me mènent le long des remparts d’Avignon à trois pas du palais. Après avoir franchi une des portes, je marche dans les rues étroites où abondent mille commerces, et grouille une foule permanente. Dans l’une d’elle, au numéro 72, tout a changé pour une famille juive le 13 mars 1944. À cette époque les nuages cachaient la haine, mais personne ne savait ce qu’elle contenait de cruauté. Pourtant, de l’autre côté du pont que l’on chante, d’autres rafles avaient eu lieu, en août 1942, avec la même destination au bout du long périple en train. Louis Aragon avait écrit un poème mystérieux pour en garder la trace.

     « Qui frappe à la porte au noir du silence
     Il se lève un vent de la violence
     Sur la ville un vol de coquecigrues
     Traque des fuyards à travers les rues
     Qui frappe à la porte au noir du silence
»

    Au numéro 72 de la rue Joseph Vernet, la famille est embarquée, emprisonnée un jour ici un autre là, avant de débarquer au camp de Birkenau. À l’arrivée du sinistre convoi, le père et le frère montent dans un camion qui grimpe la « judenrampe », ce qui voulait dire la mort immédiate. Elle, jeune femme de 19 ans, comme les rescapés de l’instant, est déshabillée, avant d’être tatouée, et rendue en quelques minutes, à l’état de rien. Si les paroles pouvaient décrire, on laisserait la voix aller. Mais ceux qui ont survécu exigent le droit au silence. La jeune femme, rescapée, incrédule, n’a jamais voulu offrir la sienne.
    Sous des feuillus, dans des prairies, il m’arrive de voir quelques biches passer à portée de regard. Pour éviter de tomber sur elles à Birkenau, il ne faut jamais y aller au printemps. L’image serait trompeuse, contraire à la réalité.

Extrait du recueil "Sous l'écorce des ans"

Photo : Des biches à Birkenau, Philippe Mesnard, 2012

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