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Fantômes

Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. W. Benjamin

Ils sont partout. Chuchotements qui s’élèvent de la terre, des eaux, des plateaux rocheux, tous ces lieux où ont été dispersés, de par le monde, corps et cendres sans sépulture, les fantômes nous entourent, en quête de paysages à visiter. Ce sont ces morts qui n’appartiennent à personne, qui n’ont pas été réclamés – ou n’ont pas été restitués, les morts sans-abri, les morts sans-droit des catastrophes récentes. Ils réclament une place, un nom, un contour, et s’invitent dans notre champ visuel à l’improviste...
De tout temps, on a cherché à apaiser et à éloigner les fantômes. Tombeaux de soldats inconnus, commémorations, lectures de noms : autant de rites modernes pour vivre en paix, pas seulement entre nous, mais aussi avec eux.

Regard sur une œuvre

Mémoriaux, Édith Bories, 2018-2019

Travail complexe sur le devoir de mémoire, dans lequel j’aborde la question de l’oubli. Par le biais du dessin, j’explore les nombreux angles qui interrogent les raisons de la déconstruction de monuments.
Dans la série Mémoriaux, Mouvement I j’isole les formes architecturales à l’aide d’une fine couche de pigment appliquée sur le papier. J’introduis des modifications par superposition et transparence, qui agissent dans un premier temps comme un filtre d’un passé enfoui.
Dans Mouvement bicolore, je joue sur les répétitions d’une même forme en manipulant deux couleurs afin d’explorer toutes les possibilités de l’image, jusqu’à son épuisement total.
Édith Bories

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Les mots d'Ahmed Kalouaz

Chambaran

    Lorsque le silence tisse sa toile sur une tranche d’histoire dont il ne reste rien, il devient difficile de tirer le fil, de dévider les souvenirs. Des documents brulés, des étrangers rassemblés puis dispersés, dont on ignore les noms, la suite de leur vie.  Heureusement, des voix se fondent sur la ligne qui écrit et tentent de retrouver l’esquisse d’une existence, l’empreinte d’un passage. Il faut en choisir une parmi elles, qui nous dirait ce que l’oubli a tenté de cacher.
    En 1962 s’achevait une guerre qui ne portait pas ce nom. Manque de gloire, pudeur excessive jetée sur ce que l’on nommera longtemps, les « événements ». En hiver de cette année-là, des enfants sont morts au camp de Bourg-Lastic au cœur d’une forêt, à Rivesaltes, c’est par dizaines que se comptaient les absents. Ailleurs, à Bias et Saint-Laurent-des-Arbres, des femmes, des hommes terrifiés par ce qu’ils venaient de vivre ont perdu la raison. Ils erraient entre les baraquements, racontant à qui ne voulait pas les entendre les remous de leur être. Leurs compagnons s’appelaient le vent, la neige couvrant les toiles de tente. À Bourg-Lastic, au bout d’un chemin, sur un autre terrain militaire se trouve un petit cimetière que des grillages enserrent. Onze sépultures sont visibles, sur les seize nourrissons décédés entre le mois de juin et le mois de septembre. On ne sait pas ce que sont devenus les autres.
    D’un camp de harkis à un autre, la même discipline, le clairon, le lever des couleurs, l’amnésie. À Chambaran, quarante familles de ces oubliés ont vécu, les bras des hommes plantant des milliers d’arbres.
    À quelques lieues des baraquements inconfortables qui leur servaient d’abri, se trouve le Palais Idéal d’un célèbre facteur.

Extrait du recueil "Sous l'écorce des ans"

Photo : Le site du camp de rassemblement des étrangers de Chambaran (Isère), Johanna Quillet, 2020

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