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La grande ITW

Parole à...

Guillaume Herbaut, photojournaliste

Après avoir présenté son parcours, quelques photos et leur histoire à la classe, Guillaume Herbaut a échangé avec les élèves… Voici une partie de cet échange.

Guillaume Herbaut : Ce qui m’intéresse c’est de voyager, de rencontrer les autres, de prendre le temps et de revenir à chaque fois sur le terrain. Parce que j’ai un problème ; je n’arrive jamais à finir les histoires. Cela peut durer 10, 15, 20 ans et je revois toujours les gens. Par exemple, je suis toujours en contact avec Lyna, même si elle ne parle pas français, on est contents de se voir. Et c’est la même chose pour les autres personnes que vous avez vues en photo : Eriola, la famille de l’orphelin… On essaie de garder le contact !

Un élève : Jusqu’à présent ?

Guillaume Herbaut : Oui, jusqu’à présent. Et à Tchernobyl, pareil. Il y a des gens que je vais revoir. Bon, là, ça devient de plus en plus compliqué parce que, malheureusement, ils meurent au fur et à mesure. Il y a deux ans, j’avais une exposition en Ukraine, à Kiev, donc j’ai pris quelques jours pour aller à Tchernobyl juste pour voir Eriola. Malchance, j’ai appris en allant là-bas, dans sa maison maintenant abandonnée, qu’elle y était morte. Après, j’ai même fait une enquête pour savoir comment elle était morte... En tout cas, les histoires que racontent les photos sont importantes pour moi. C’est pour ça que je m’implique réellement, personnellement.

Un élève : En fait, il y a des choses que je n’ai pas bien compris. Le garçon était enfermé avec ses frères et sœurs. Vous avez dit qu’ils étaient enfermés pendant longtemps. Quand il a eu l’autorisation de sortir, pourquoi il ne sortait pas s’il avait l’autorisation de l’État…

Guillaume Herbaut : Non, l’État ne reconnaît pas le Kanoun. Et heureusement ! C’est une loi qui est parallèle, c’est une loi entre les gens. Donc ceux qui vont tuer dans la vengeance vont avoir une double peine. Il faut aussi savoir qu’en Albanie, il y a une majorité de personnes qui sont de confession musulmane et il y a aussi quelques catholiques. Cette « loi » du Kanoun touche beaucoup à la communauté catholique. Et les catholiques qui vont se venger vont ensuite être excommuniés : ils vont perdre leur baptême. Ce qui est important quand on est catholique ! Et du coté de l’État, si quelqu’un tue en se référant au Kanoun, il va être condamné encore plus que pour un meurtre normal : légalement, c’est totalement interdit. Donc quand le jeune que tu as vu sur la photo va avoir l’autorisation de sortir, en fait il va l’avoir de la famille adverse. Ils vont lui dire « ok, on tolère que tu sortes. On te donne un accord pour sortir, parce que là (par exemple) tu vas à un enterrement. Il faut que tu rentres tout de suite après sinon on pourra te tuer. »

Un élève : Tu travailles avec des journalistes ou tu es photographe seulement ?

Guillaume Herbaut : Je fais les deux. Parfois, je pars tout seul et donc je vais faire tout. Je vais écrire, etc. Et parfois, je pars avec un journaliste.

Un élève : Vous faites des vidéos aussi ?

Guillaume Herbaut : Non, pas de vidéo, que des photos.

Un élève : Tu prends des risques hein ! Parce que si tu prends des photos comme ça et que tu n’as pas l’autorisation et qu’après ils savent…

Guillaume Herbaut : C’est sûr… Après, c’est l’expérience qui le permet. Quand tu vas quelque part, tu sais qu’il y a un moment où il ne faut pas prendre de photo, il faut parlementer avant, il faut avoir les bons contacts. Quand je vais dans des endroits tendus, il me faut ces contacts qui me donnent l’autorisation de photographier. Mais même en France, il y a certains quartiers où on ne peut pas photographier. De partout il faut savoir comment ça marche pour arriver à photographier…

Un élève : Parce que parfois c’est interdit ?

Guillaume Herbaut : Surtout parce que parfois tu rencontres des « bandits »… Par exemple, en France, si je veux prendre des photos dans un quartier où il y a des trafics de drogue, je sais que c’est super dangereux pour moi. Les dealers n’aiment pas qu’on les prenne en photo ! Donc dans ces quartiers il y a certaines heures où je sais que je ne peux pas travailler : il vaut mieux y travailler le matin. Mais voilà, c’est juste ça, il faut s’adapter pour prendre moins de risques.

Un élève : S’il vous plait… pour revenir à la photo avec les deux garçons. Ils étaient tendus non ? On sentait qu’ils étaient surement armés jusqu’aux dents…

Guillaume Herbaut : Non, en fait, ils n’en avaient pas.

Un élève : Même dans la maison ?

Guillaume Herbaut : Non, pas à ma connaissance.

Un élève : Ah, je pensais qu’ils étaient armés et que vous aviez négocié avec la famille…

Guillaume Herbaut : Non, eux, ce sont des victimes, pas des guerriers. Eux, ils ont peur d’être tués. Ce sont des enfants, ils ne veulent pas tuer, ils sont petits. Et la mère est seule, elle est veuve et élève ses quatre enfants. Elle essaie juste de les protéger. Par contre elle a peur de ce qui se passe autour. Par exemple, à un moment donné avec sa fille on s’est approchés de la fenêtre et elle a attrapé sa fille par l’épaule parce qu’elle avait peur que quelqu’un dehors lui tire dessus.

Un élève : Et pourquoi cette famille n’est pas allée dénoncer tout ça à la police ?

Guillaume Herbaut : Non, la police est corrompue. Là-bas, tu ne peux pas faire confiance à la police. C’est un réel problème la corruption. Tout est dirigé par des histoires d’argent. C’est d’ailleurs parce qu’il n’y a pas de justice que les gens se raccrochent à d’anciennes coutumes, qui ne sont pourtant plus adaptées à notre époque, et qui créent un climat de violence… S’il y avait moins de corruption en Albanie, l’État irait mieux, les gens vivraient mieux, et il n’y aurait pas tous ces problèmes. Mais ça, ce n’est pas le seul pays dans ce cas. Par exemple, la Roumanie est un des États les plus corrompus d’Europe, et bien là-bas la corruption crée de la violence dans la nature. En ce moment, il y a la déforestation d’une des plus belles forêts d’Europe parce que l’État est corrompu et laisse faire. Donc la corruption ça fait vraiment du mal, à plusieurs niveaux.

Un élève : Tu continues à aller dans ces pays-là ?

Guillaume Herbaut : Oui. Mais depuis qu’il y a la Covid, j’ai dû bloquer tous mes voyages ; Maintenant je travaille beaucoup en France. Je repartirai dès que ça ira mieux. Je voudrais refaire un voyage en Albanie parce que je n’ai pas fini mon projet là-bas. Et l’Ukraine, évidemment, j’y retournerai.

Un élève : Dans les reportages que tu as fait, il y a beaucoup de familles, est-ce que ça les a aidé ?

Guillaume Herbaut : Oui, ça peut les aider. Il y a beaucoup de gens qui refusent d’abord d’être photographiés dans des situations compliquées. Ils disent que ça ne sert à rien ou demandent si ça va les aider. Et en fait, au départ, non. Ça n’aide pas du tout. Au départ, je photographie juste pour donner une information. Mais en fait, je me rends compte que, au long cours, ça peut aider, parce que ce sont des preuves. Par exemple, il y a en ce moment beaucoup de refus de l’Etat français pour accueillir des albanais. C’est une politique globale depuis deux ou trois ans c’est difficile pour eux d’obtenir des papiers. Et en fait, ces familles-là, si elles ont été photographiées en Albanie, dans de telles situations, ça montre que ce que je raconte, enfin, ce qu’elles racontent, est vrai. Ça donne des preuves. Et ça peut permettre d’avoir plus facilement des papiers. Et sur un conflit, c’est pareil. Quand on photographie par exemple un crime de guerre. Si un jour les bourreaux passent devant un tribunal international, c’est aussi une manière d’apporter des preuves.

Un élève : Et en Ukraine ça les aide ?

Guillaume Herbaut : En Ukraine non, c’est différent, car l’histoire racontée est différente.

Un élève : Dans tout ton parcours, tu n’es jamais allé en Afrique ?

Guillaume Herbaut : Si, je suis allé au Bénin.

Une élève béninoise : Ah oui ?! Au pays ! (rires de la classe)

Guillaume Herbaut : J’adore le Benin ! Mais je n’y suis pas resté longtemps. J’ai fait aussi le Sénégal et le Cameroun…

Un élève camerounais : Ah, oui, de quel côté ?

Guillaume Herbaut : Coté anglophone. Ça fait longtemps. Je suivais deux femmes juges qui travaillaient dans la partie anglophone. Mais je n’y ai passé qu’une semaine. Donc je ne connais pas.

Un élève : Tu peux nous expliquer comment ça se passe là-bas ?

Guillaume Herbaut : Je ne peux pas parler de l’Afrique parce que je ne la connais pas. J’ai des amis qui vont depuis 20 ans en Afrique, ils connaissent tout. Ce n’est pas mon cas. Et en plus en Afrique, je n’ai pas fait de sujet dur comme j’ai fait en Europe de l’Est. Au Bénin par exemple j’ai fait un travail sur des étudiants qui étaient aidés par une fondation française qui leur permettait de faire des études. Donc c’était positif. Au Sénégal, c’était les nuits des Dakar. C’était un sujet léger, les fêtes à Dakar la nuit, les boites de nuit.. Au Cameroun, c’était plus compliqué, c’était la justice. On parlait de la corruption en fait.

Un élève : Oui oui, c’est l’Albanie d’Afrique !

L’élève camerounais : C’est vrai que c’est à cause de la corruption qu’il y a beaucoup de conflits maintenant. Mais les anglophones sont contre la corruption et du côté francophone, oui, il y a beaucoup de corruption.

Guillaume Herbaut : C’est vrai que je me souviens qu’on ne pouvait pas voyager de nuit. Quand on voyageait de nuit, il y avait des policiers avec nous. Je ne sais pas si ça existe encore…

L’élève camerounais : Oui, ça existe, il y a beaucoup de conflits maintenant, il y a des morts…

Guillaume Herbaut : Mais j’aimerais bien faire plus de voyages en Afrique. Je ne connais vraiment pas du tout.

Un élève : Si vous voulez compléter votre histoire, il faut aller en Afrique.

Guillaume Herbaut : Et vous, vous venez de quels coins ? J’ai compris qu’il y avait Bénin, Cameroun…

Les élèves : Côte d’Ivoire, Algérie, Mali, Guinée... Il faut venir, chez nous aussi il y a beaucoup de corruption !

Guillaume Herbaut : Oui, mais vous savez aussi, pour parler d’un pays, il faut le connaître. On choisit des territoires et une fois qu’on les connaît mieux, on se dit « Comme je connais bien cette partie, je vais me consacrer là-dessus ».

Un élève : Tous ces risques tu les as pris par passion ou pour l’argent ?

Guillaume Herbaut : Ah non, ce n’est pas pour l’argent sinon je ferais un autre métier ! Ce n’est pas un métier où tu vas devenir riche. C’est vraiment parce que j’ai ça en moi. Chaque semaine je ne sais pas combien je vais gagner. Mais, ce qui est précieux dans ma situation, c’est la liberté. Je suis totalement libre, je fais ce que je veux. Je peux monter des projets, tout est possible, je peux aller dans tous les milieux, ça c’est incroyable ; et je voyage dans énormément de pays. C’est une grande chance. La contrepartie est que parfois je peux être riche, et le lendemain je peux être pauvre, et ça c’est dur. Donc non, je ne fais pas ça pour l’argent.

Un élève : Et avec les risques que vous avez pris sur les champs de bataille…

Guillaume Herbaut : Oui, en fait il faut parfois se demander qu’est-ce qu’on fait là, pourquoi on est là… Parce que si à un moment donné on se dit « je n’ai rien à faire là » mais qu’on est dans une situation dangereuse et bien il vaut mieux partir.

Un élève : Et quand on te demande de sortir faire un reportage, c’est l’État qui paie ?

Guillaume Herbaut : Ce n’est pas l’État qui paie. Non, l’État ne finance pas les journalistes. Heureusement d’ailleurs parce que si l’État payait les journalistes, on ne pourrait plus être en démocratie. En fait on ferait de la communication. Moi je ne communique pas, je donne de l’information. Et donc quand j’ai un projet, je vais voir un journal, je leur dis « Voilà mon histoire, voilà ce que je veux raconter, et voilà pourquoi je veux le raconter. » Et s’il est d’accord, il me paie. Mais ce n’est pas l’État, c’est un journal.

Un élève : S’il vous plait ; et toutes les photos que vous prenez, toutes les histoires que vous faites, les idées, vous les mettez dans d’autres journaux, dans toute la France ? D’autres photographes peuvent prendre les mêmes histoires ?

Guillaume Herbaut : Non, c’est moi qui raconte et après, il y a des supports différents. Et si je fais un reportage, peut-être quelques autres vont avoir le même sujet, mais on ne va pas être 150 à faire le même reportage ! Il n’y a pas beaucoup de place dans les journaux, si on raconte tous la même chose, ça ne va pas marcher.

Un élève : Et vous, vous racontez les mêmes choses que d’autres photographes ?

Guillaume Herbaut : Non, les initiateurs, c’est souvent les journaux, les lieux culturels, les centres d’expo où un peut exposer pour raconter des histoires, il y a les festivals photo… et là, le travail peut être montré, faire le tour de la France ou même être présenté à l’étranger. Et puis il y a la télé. Parfois par exemple, je fais des petits modules pour Arte. Il y a Internet aussi… Il y a plein de moyens pour diffuser des images.

Un élève : Chaque photo a son histoire…

Guillaume Herbaut : Oui, c’est ça qui est intéressant dans la photo.

Un élève : C’est très intéressant tout ce que vous nous avez présenté.

Guillaume Herbaut : Merci !

Un élève : On aimerait avoir d’autres histoires encore...

Guillaume Herbaut : Il y en a beaucoup d’autres, mais on y passerai la journée !

Interview réalisée par les élèves de MLDS-FLE, le 22 mars 2021